Le 5 septembre 2012 un dégagement de fumée à la centrale de Fessenheim relançait une fois de plus la polémique sur la sûreté nucléaire. Cet incident intervenait fort opportunément à une dizaine de jours de la conférence environnementale de la rentrée (14 et 15 septembre). C’est donc tout naturellement qu’un essaim de journalistes était massé aux portes de la centrale, racontant tout et n’importe quoi pour meubler en attendant d’en savoir plus. On en a même vu un la mine toute dépitée se lamenter sur le manque d’infos.
Deux mois plus tard les infos sont enfin là, mais plus les journalistes. Il est vrai qu’en temps médiatique un mois équivaut à une éternité… Ce serait pourtant intéressant de savoir en fin de compte ce qui a fait trembler la France pendant toute une journée.
Lors de l’arrêt pour maintenance du réacteur, les générateurs de vapeur (numéro 6 sur l’illustration précédente) sont partiellement remplis d’eau. Attention, il s’agit uniquement de remplir la partie connectée au circuit secondaire donc l’eau ne rentre pas en contact avec le combustible. Pour limiter la corrosion on rajoute dans cette eau de l’hydrazine, qui élimine l’oxygène :
\[\mathrm{N}_2\mathrm{H}_4 + \mathrm{O}_2 \longrightarrow \mathrm{N}_2 + 2\mathrm{H}_2\mathrm{O}\]
Avant le redémarrage ce fluide de conservation à l’arrêt des générateurs de vapeur est vidangé. Cependant avant de pouvoir rejeter ces effluents dans l’environnement il est nécessaire de détruire l’hydrazine par un traitement chimique. Ce traitement est effectué dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires (numéro 34 sur l’illustration). Il peut être réalisé à l’aide d’eau oxygénée, en ajoutant un peu de sulfate de cuivre comme catalyseur pour accélérer la réaction :
\[\mathrm{N}_2\mathrm{H}_4 + 2\mathrm{H}_2\mathrm{O}_2 \longrightarrow \mathrm{N}_2 + 4\mathrm{H}_2\mathrm{O}\]
Or l’eau oxygénée se décompose aussi naturellement :
\[2\mathrm{H}_2\mathrm{O}_2 \longrightarrow 2\mathrm{H}_2\mathrm{O} + \mathrm{O}_2\]
Cette décomposition est exothermique, et surtout est catalysée entre autres par… le sulfate de cuivre. On devine tout de suite ce qui a pu se passer : l’ajout de sulfate de cuivre solide dans la solution a amorcé la décomposition de l’eau oxygénée, produisant de la chaleur. Comme cette réaction est d’autant plus rapide que la température est élevée elle s’est emballée et a dégagé massivement de la vapeur d’eau.
On peut cependant légitimement se demander pourquoi un incident pareil ne s’était jamais produit avant vu que cette réaction a l’air assez classique, et surtout pourquoi la procédure de dissolution ne tenait pas compte de ce risque chimique. C’est d’ailleurs précisément ce que l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) reproche à EDF dans sa Lettre de Suite d’Inspection.
Pour ceux que ça intéresse le déroulement minute par minute de l’incident est relaté dans le compte-rendu d’EDF. Bilan final : 11 salariés indemnes envoyés à l’infirmerie « au cas où », 50 pompiers déplacés sur les lieux et une couverture médiatique délirante. Quel enthousiasme pour de la simple chimie ! Ça doit être l’effet Breaking Bad…
Bonus : Faites votre accident nucléaire vous-même !
Pour cela vous aurez besoin :
- d’eau oxygénée stabilisée à 130 volumes (concentration de 35 % en masse)
- d’un peu de poudre de sulfate de cuivre
Attention, le sulfate de cuivre est un peu toxique sur les bords et l’eau oxygénée assez corrosive donc protégez-vous correctement ! Versez l’eau oxygénée dans un récipient puis saupoudrez de sulfate de cuivre. Au bout de 20 minutes vous devriez obtenir un truc qui ressemble à ça :
La couleur vert-marronnasse est probablement due à la coexistence dans la solution de cuivre sous les formes d’oxydation I et II. Le catalyseur Cu(II), de couleur verdâtre en solution, est bien sûr régénéré lors de la décomposition de l’eau oxygénée. Cependant le mécanisme réactionnel implique également la formation temporaire de Cu(I) plutôt rouge, d’où une solution de couleur composée.
Très intéressant, mais pour les paysans comme moi qui ne sont pas de la branche, tu aurais pu préciser ce qu’est l’ASN. Cela m’aurait évité d’avoir à taper trois caractères sur Google.